Les différents constructeurs qui vont s’atteler à la reconstitution du Théâtre optique ont peu d’éléments :

  • L’article Le Théâtre optique de M. Reynaud de Gaston Tissandier, paru dans la revue de vulgarisation scientifique La Nature n° 999 du 23 juillet 1892 avec la gravure de Louis Poyet, qui montre bien le dispositif du Théâtre optique et qui donne une idée des proportions.
  • Le chapitre sur le Théâtre optique que l’on trouve dans l’ouvrage de H. Fourtier[1].
  • Le brevet d’invention N° 194 482 déposé le 1er décembre 1888.
  • Les 2 bandes originales conservées qui donnent la largeur de la bande et les espacements entre les perforations, c’est-à-dire entre les dents de la grande roue.
  • Les témoignages des deux fils d’Émile Reynaud qui vont reconstituer scénarios et décors.

Pierre Bride, Roger Leenhardt (Naissance du cinéma)

La première des reconstitutions de Théâtre optique connue a été réalisée par Pierre Bride pour le film de Roger Leenhardt Naissance du Cinéma[2]. Nous avons peu d’informations sur ce constructeur. Pour ce film, l’installation de l’appareil a été effectuée par Louis Raitière et c’est André Reynaud (1882-1947), fils cadet d’Émile, qui effectue la manipulation et projette un extrait de la bande originale Autour d'une Cabine. Celle‑ci étant trop fragile, le film enchaîne sur les images en couleur, complètement refaites en dessin animé traditionnel par Gabriel Allignet[3] des studios Les Gémeaux de Paul Grimault et André Sarrut. Cette adaptation est partielle et la musique n’est pas la partition originale de Gaston Paulin. Il s'agit de la version d'environ 1 minute 50 que l'on trouve généralement sur internet.
Cet extrait du film de Roger Leenhardt est repris, totalement en noir et blanc, remonté et tronqué, dans un documentaire sur les origines du dessin animé présenté par Walt Disney. La musique y est réécrite pour orchestre avec un final très hollywoodien.
Ce Théâtre optique a été détruit dans l’incendie de la Cinémathèque française, rue de Courcelles en 1959[4].
Une deuxième adaptation cinématographique, conservant le même découpage que celle de Gabriel Allignet a été réalisée par Manuel Otero en 1981. Les dessins d’un extrait de Autour d’une Cabine sont entièrement refaits et inclus dans le film de Joël Farges[5] sur Émile Reynaud.

Jean Vivié et René Picquet (Montréal, Bruxelles, Annecy)

Entre 1967 et 1971, Jean Vivié[6] s’attache à la réalisation de 3 appareils qui sont construits par René Picquet de la société Elec'ciné : celui de la Cinémathèque québécoise à Montréal (1967), celui de la Cinémathèque royale de Belgique (1968) et le premier exemplaire du musée d’Annecy (1971). Contrairement à ce qu'il nous indique dans son ouvrage Prélude..., ces appareils sont différents des plans qu'il a réalisés et dont une copie est conservée à la Cinémathèque française.
Les copies projetables pour les appareils de René Picquet sont réalisées à partir de la bande Pauvre Pierrot sur un modèle qui sera repris pour les copies suivantes : chaque pictogramme est photographié isolément depuis la bande originale ; ils sont ensuite réajustés un à un sur une bande continue d'un format de type 70mm.

  • L’appareil de la Cinémathèque québécoise sera mis en valeur lors de la Rétrospective mondiale du Cinéma d’animation qui aura lieu conjointement à l’Exposition universelle de Montréal en 1967. Cette rétrospective a été pensée et mise-en place par Raymond Maillet et André Martin au Henri F. Hall de l’Université Sir George Williams.
  • L’appareil de Bruxelles sera inauguré en 1968. Jean Vivié effectuant la manipulation[7]. Il sera ensuite mécanisé pour effectuer la projection en boucle d'une bande partielle (54 images) : le visiteur du musée n’ayant qu’à presser sur un bouton. L'appareil joue d'abord d’un court extrait de Pauvre Pierrot puis de Autour d’une Cabine. Cette seconde bande partielle a été réalisée par Julien Pappé.
  • La copie pour l’appareil d’Annecy est réalisée en 1971 par les Studios Martin‑Boschet où se sont formés de jeunes animateurs dont les noms reviennent plus tard dans l’histoire des reconstitutions et adaptations des pantomimes : Manuel Otero, Michel Roudevitch, Julien Pappé...

Pierre Bracquemond (Cinémathèque française, musée Grévin)

Pierre Bracquemond[8], de la Cinémathèque française, utilise 44 miroirs pour ses reconstitutions d’appareils, les autres reconstitutions ayant 36 miroirs.

  • Le premier appareil qu’il réalise en 1972 est celui de la Cinémathèque française. Il sera exposé dans la salle dédiée à Émile Reynaud au musée du Cinéma au Palais de Chaillot jusqu'à sa fermeture. Celui-ci ne fonctionnera pas avant 1988, après que Noëlle Giret et Pierre Bracquemond auront effectué les premières interventions sur la bande originale de Autour d’une Cabine pour permettre à Julien Pappé et Konstanty Udala, aux Studios Magic-Films, de réaliser les copies projetables[9] et la troisième adaptation cinématographique de cette pantomime. Cet appareil a été mis en valeur lors des commémorations de 1992 (centenaire des Pantomimes lumineuses) et de 1995 (centenaire du Cinématographe). Les représentations étaient assurées par Konstanty Udala, assisté de Sébastien Tran, l'accompagnement musical étant réalisé par la pianiste Sophie Nicolle. Dernièrement, lors de l’exposition Lanterne magique et film peint[10].
  • L’autre Théâtre optique reconstitué par Pierre Bracquemond en 1978 est celui du musée Grévin[11]. Il est mécanisé avec un automate représentant Émile Reynaud réalisé par le sculpteur d’automates Jacques Monestier. Les premières bandes projetables pour le musée Grévin sont réalisées par André Dyja (1978) des Archives françaises du film. Les suivantes seront réalisées par Julien Pappé aux Studios Magic-Films. L'appareil sera installé au Forum des Halles, puis, à la fermeture de cet espace, intégré aux galeries du musée Grévin. Longtemps installé dans la rotonde, au bout de la très belle salle des colonnes, sans effectuer de projection, il a finalement été retiré des espaces d'expositions du Musée Grévin en fin juillet 2014.

Klaus Lorenz et Catherine Oudoin (Annecy)

Un autre automate d’Émile Reynaud manipulant un Théâtre optique a été réalisé en 1995 par les constructeurs et restaurateurs d’automates Klaus Lorenz et Catherine Oudoin (Sté Clepsydra) pour le musée d’Annecy. Cet appareil est à échelle réduite et la bande projetable est au format 35mm[12]. Les mouvements de l’automate ont été pensés pour effectuer des arrêts, des retours en arrière et des répétitions.
Comme nous n’avons aucun élément permettant de définir précisément quels étaient les mouvements que pouvait faire Émile Reynaud à son époque, ceux de l’automate s’effectuent de façon aléatoire. Un mouvement de tête montre l’attention que cet opérateur mécanique porte à sa projection. Le choix d’un modèle réduit peut être judicieux pour une exposition en musée, la plupart des reconstitutions se retrouvant souvent dans les réserves par manque d’espace.

Julien Pappé

Pour ses adaptations cinématographiques à partir de 1985, et à la demande de la Cinémathèque française[13], Julien Pappé reprend l’ensemble des dessins originaux d’Émile Reynaud, sauf la scène finale de Autour d’une Cabine où la barque annonce sur sa voile que « la représentation est terminée » qui, elle, est totalement redessinée. Il redessine les parties manquantes de certaines de ces images et ajoute également des dessins d’intervalles pour amener cette fluidité propre aux mouvements réels du cinématographe[14].
Julien Pappé propose deux versions d’adaptation cinématographique de Pauvre Pierrot. La première, réalisée en 1991, est proposée lors d’une soirée « Théma » sur la chaîne ARTE et projetée lors du Festival d’Annecy en juin 1993. Sur cette adaptation, Julien Pappé recadre les personnages en plans plus serrés et ajoute un plan sur Colombine qui se penche à sa fenêtre, semblant inviter Arlequin à la rejoindre. Pour faire cet insert, le réalisateur réutilise des images qui ne sont pas contiguës, sur la bande originale, aux images finales d’Arlequin. La deuxième adaptation en 1996 est projetée régulièrement et disponible en DVD avec le livre[15] sur les pionniers de l’animation proposé par les Archives françaises du film. Sur l’ensemble des adaptations de Julien Pappé, la musique originale de Gaston Paulin est reprise[16]. On peut regretter cependant que la sérénade à Colombine soit interprétée par une femme et non un homme, et soit en décalage avec le jeu des personnages.

Paul Leeman (Londres, Turin)

Entre 1987 et 1988, Paul Leeman réalise sur la commande de Pierre Levie[17] les reconstitutions de Théâtre optique du MOMI[18] à Londres et du musée du Cinéma à Turin. Le premier appareil sera manipulé quotidiennement par plusieurs opérateurs qui se relaieront pendant une dizaine d’années sous la direction de Stephen Herbert. Cet appareil a aujourd'hui rejoint les collections des Archives françaises du film, aux bons soins de Jean-Baptiste Garnero.

Il existe enfin un appareil à Francfort et un à Düsseldorf pour lesquels nous avons encore peu d’informations à l’heure actuelle.

Remerciements

Marie Vercambre et Véronique Bérecz (musée Grévin), Jean‑Baptiste Garnero, André Dyja (Archives françaises du film, CNC), Paul Leeman, Klaus Lorenz (Clepsydra), Jacques Monestier, Noëlle Giret, Laurent Mannoni et Fred Savioz (Cinémathèque française), Hilde Delabie (Cinémathèque royale de Belgique), Stephen Herbert (MOMI), Jean Gagnon, Nicole Laurin, Claudine Viens, Véronique Plante et Lorraine Leblanc (Cinémathèque québécoise)

Notes

[1] Les Tableaux de projections mouvementés - H. Fourtier - Ed. Gauthier-Villars, Paris (1893). Document numérisé sur le site de la BNF

[2] Les Films du Compas (1946) – consultable aux Archives françaises du film à Bois d’Arcy, au CNC, à la BNF et à la Cinémathèque de Toulouse sous conditions d’accréditation.

[3] Voir Pour Saluer Gaby de Jean-Pierre Pagliano – Bulletin de liaison des Amis d’Émile Reynaud n°36 – Juin 2007

[4] Voir Histoire de la Cinémathèque française – Laurent Mannoni, Edition Gallimard 2006 – P201

[5] Émile Reynaud (1844-1918) ou les pantomimes lumineuses – Joël Farges, CNDP (1981) – musique originale de Ichiro Nodaïra – consultable aux Archives françaises du film à Bois d’Arcy, sous conditions d’accréditation.

[6] Voir Prélude au Cinéma De la préhistoire à l’invention – Jean Vivié – Édition établie, annotée et présentée par Maurice Gianati et Laurent Mannoni – L’Harmattan, Coll. Les Temps de l’Image, 2006, page 192

[7] Voir Prélude au Cinéma De la préhistoire à l’invention – Jean Vivié – Édition établie, annotée et présentée par Maurice Gianati et Laurent Mannoni – L’Harmattan, Coll. Les Temps de l’Image, 2006, note 3 page 200

[8] Voir Pierre Bracquemond montreur d’images, Le Technicien du film et de la vidéo n°416, sept-oct 1992

[9] Après la mise à disposition par la famille Oudart-Reynaud d'une copie des 16 poses finales qui leur avait été offertes par le Musée des Techniques de Prague en 1996.

[10] à la Cinémathèque française du 14 octobre 2009 au 28 mars 2010, les projections étaient assurées, en alternance par Christelle Odoux et Rodolphe Cobetto-Caravannes

[11] En collaboration avec Monsieur Veber (Veber Sport, Asnieres) pour l'ébénisterie.

[12] Réalisé par le photographe Denis Vidalie

[13] Voir sur Cinéressources Les Restaurations de la Cinémathèque, Les Films projetés en 1986, page 14

[14] Voir la postface de Vincent Pinel dans Émile Reynaud et l’image s’anima – Dominique Auzel – Dreamland 1998

[15] Du praxinoscope au cellulo - Un demi-siècle de cinéma d'animation en France (1892-1948) - CNC (2007)

[16] Interprétée par Sophie Nicolle

[17] Qui réalise en 1988 le court métrage Émile Reynaud. la musique est interprétée par Léandro Lopez (voix) et Benjamin Erlich (piano). On y voit quelques poses originales de Pauvre Pierrot et quelques images de l’adaptation cinématographique de Autour d’une Cabine réalisée par Julien Pappé. Consultable aux Archives françaises du film à Bois d’Arcy, sous conditions d’accréditation.

[18] The Museum of the Moving Image. La copie projetable a été réalisée par Stephen Herbert à partir de 300 poses redessinées de Autour d'une Cabine..